J’ai revu Glee 10 ans après sa sortie. Conclusion : peut mieux faire.
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En août 2019, à l’occasion de sa diffusion sur une plateforme de streaming, le magazine Les Inrockuptibles titrait à propos de Glee : « La série féministe et LGBT-friendly qui vieillit bien ». La journaliste soulevait combien le programme de Ryan Murphy avait été précurseur sur de nombreux sujets.
J’ai profité du confinement au printemps 2020 pour revoir les six saisons de cette série musicale que j’avais adoré à sa sortie en 2009, et même si ses efforts d’inclusion et de diversité sont louables, un regard neuf post #MeToo s’impose.

La série se déroule à McKinley High, un lycée situé en Ohio, aux États-Unis. Le pitch : les histoires d’amour et d’amitié, les moments de gloire et les déboires des élèves et de leur professeur Will Shuester, le tout en chanson. Six saisons, 121 épisodes de 44 minutes, diffusés entre 2009 et 2015 aux États-Unis.
Une série inclusive
La série fut plus d’une fois saluée par la critique pour sa volonté de mettre en avant des personnages racisés, aux physiques et orientations sexuelles divers. Au fil des saisons, elle s’est donné pour mission de dénoncer l’homophobie avec des personnages homosexuels de premier plan comme Kurt et Blaine et les discriminations qu’ils subissent, mais également le validisme[1]Discrimination contre les personnes vivant un handicap – grâce aux personnages d’Artie, jeune homme en fauteuil roulant, de Becky, atteinte de trisomie 21– ou encore le classisme[2]Discrimination fondée sur l’appartenance à une classe sociale avec l’histoire de Sam, dont la famille a été mise à la rue après que son père ait perdu son emploi.

En ce qui concerne le sexisme, la série se proposait d’explorer les problèmes que rencontrent les jeunes femmes avec leurs camarades masculins. Par exemple : la pression qu’elles subissent pour faire l’amour ; le manque de femmes à des postes importants, avec le personnage de Britanny qui se présentait aux élections des délégués de classe pour s’opposer au fait que seuls des garçons avaient été élus au cours des années précédentes ; mais aussi les violences faites aux femmes, l’injonction à la féminité, et bien d’autres encore.

Tous ces efforts sont louables, mais en visionnant la série à travers un prisme post #MeToo, de nombreux ressorts narratifs m’ont paru problématiques. Il faut rappeler que la vague de dénonciation d’abus sexuels faisant suite à l’affaire Weinstein a eu lieu en 2017, soit deux ans après la fin de la série.
Sexualisation des jeunes filles
Comme pour beaucoup de séries états-uniennes, les lycéen·nes de Glee, censé·es avoir entre quinze et seize ans lors de la première saison, sont interprété·es par des acteurs et actrices bien plus âgé·es, les comédiennes des rôles principaux féminins ayant toutes vingt-deux ou vingt-trois ans à l’époque de sa sortie.
Les personnages de Quinn, Santana et Britanny faisant partie des cheerleaders, elles passent leurs journées habillées dans la fameuse tenue moulante avec mini-jupe. Les réalisateurs s’en donnent à cœur joie en termes de cadres, n’hésitant pas à multiplier les plans en contre-plongée lorsque ces dernières dansent, offrant aux spectateur·trices une vue assez précise de leur anatomie. Les autres jeunes filles du Glee Club ne sont pas épargnées par cette mise en scène qui sexualise ses jeunes personnages féminins, banalisant un regard masculin lubrique sur des adolescentes.

On peut ici faire le lien avec le concept de male gaze, théorisé par la critique de cinéma Laura Mulvey en 1975, qui peut se définir comme le regard d’un sujet masculin actif, sur un objet passif, une femme ; mais aussi comme l’utilisation d’un regard scopophile, qui jouit du voyeurisme.
Il faudra noter que sur un total de 121 épisodes, seuls 12 ont été réalisés par des femmes, de quoi rappeler la nécessité d’embaucher plus de réalisatrices à Hollywood.
Dans l’épisode Rébellion de la saison 5, le Glee club veut twerker mais la principale du lycée Sue Sylvester, némésis du professeur Will, décide d’interdire cette pratique. La réponse de ce dernier face à cette « injustice » est de chanter Blurred Line de Robin Thicke dans l’école, entouré de ses élèves et d’autres lycéen·nes. Cette scène donne lieu à un florilège de plans sur les fessiers des jeunes filles, qui se frottent allègrement contre leurs camarades masculins, ces derniers s’étant vus principalement attribués des pas de breakdance, style de danse communément perçu comme viril.

Lorsque Sue le convoque dans son bureau et lui dit qu’il est anormal qu’un homme de 37 ans ait chanté cette chanson « qui parle d’avances sexuelles coercitives » avec ses élèves mineur·es, il invoque le premier amendement de la constitution américaine sur la liberté d’expression. Sue décidera alors de le renvoyer. Lors d’une réunion avec le comité de direction visant à entériner ou non ce renvoi, le professeur comparera le twerk à d’anciennes danses censurées par la bien-pensance de leur époque, ce à quoi le comité lui donnera raison. À aucun moment Will ne reconnaîtra avoir pu faire une erreur.
Ainsi cet épisode fait la promotion d’un discours classique souvent utilisé pour contre-argumenter les plaidoyers féministes, celui d’une liberté d’expression pleine et entière, sans remettre en question les dérives auxquelles elle peut amener – ici un énième acte de sexualisation d’adolescentes par un homme adulte.

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Un consentement bafoué
Alcool et zone grise
L’une des intrigues de la première saison porte sur la grossesse involontaire de Quinn, qui fait partie du club de chasteté. La jeune femme laisse tout d’abord Finn (son petit-ami officiel) penser qu’il est le père, alors que les deux jeunes gens n’ont pas eu de relation sexuelle avec pénétration, blâmant naïvement une soirée sensuelle dans un jaccuzzi. Nous apprendrons plus tard que le père est en réalité le meilleur ami de Finn, Puck. Lorsque ce dernier confronte Quinn sur sa paternité, voilà ce qu’elle lui dit : « J’ai couché avec toi car tu m’as fait boire et que je me trouvais grosse ce jour-là. Mais c’était une erreur. »[3] « I had sex with you, because you got me drunk on wine coolers and I felt fat that day. But it was a mistake. »

Lorsque la vérité éclatera, il sera reproché à Quinn d’avoir trompé Finn, et à Puck de l’avoir trahi, mais le fait que ce dernier ait fait boire la jeune femme et ait profité de sa tristesse pour avoir des rapports sexuels avec elle, alors vierge, ne sera plus mentionné, et ne sera jamais remis en question. Ou comment passer sous silence la notion de consentement, qui disparaît si la personne concernée n’est pas pleinement consciente de ses actes, ou en mesure de prendre des décisions raisonnées.
C’est ici que certain·e·s pourraient faire intervenir la fameuse « zone grise », dont l’autrice Iris Brey parle dans son essai Sex and the series : « L’utilisation de ce mot banalise le fait que les hommes traitent les femmes comme des objets sexuels dont le plaisir et le désir ne sont pas pris en compte, mais en même temps il souligne que le sexe ne se catégorise pas toujours facilement dans des cases binaires ».[4]I. BREY, Sex and the series, Ed. de l’Olivier, p. 45. S’agissant d’une série ayant pour public des millions de jeunes gens, j’aime à croire qu’il est de la responsabilité des scénaristes de dénoncer ce genre de comportements.

À noter que ces deux personnages finissent ensemble, heureux et amoureux, à la fin de la série. De quoi laisser penser aux spectateur·trice·s qu’une relation sexuelle non voulue peut être le début d’une belle histoire d’amour.
Une banalisation du harcèlement
Analysons maintenant l’histoire d’Emma, la conseillère d’orientation, qui dès le début de la saison 1 est courtisée par Ken, le prof de sport. Il ne cesse de lui proposer des rendez-vous galants, et cette dernière invente mille excuses car elle n’ose pas lui dire non. En dépit de ces rejets à répétition, Ken persiste, et après une énième tentative, elle finit par lui dire qu’elle n’est pas intéressée par lui. Malgré ce refus clair et catégorique, Ken insiste pendant plusieurs épisodes, jusqu’à lui adresser un long discours pour tenter de la convaincre, concluant par « Tu pourrais finir avec bien pire, et dans cette ville, tu ne vas pas trouver beaucoup mieux »[5]« You could do a lot worse, and in this town, you’re not going to do much better. ».

Lorsque Emma se rend compte qu’elle n’a aucune chance avec Will, celui dont elle est secrètement amoureuse, elle finit, désespérée, par accepter de sortir avec Ken. Au milieu de toutes ces intrigues, pas une seule fois ne sera prononcé le terme qui décrit pourtant la situation : harcèlement.
Ken est montré comme gentil et inoffensif, et à l’instar de nombreux personnages masculins de fiction avant lui, cela permet aux scénaristes de justifier des comportements de harcèlement et de manipulation, de banaliser l’irrespect du non, et de romantiser le fait qu’un homme insiste auprès d’une femme. Car s’il se permet ses multiples propositions, c’est soi-disant au nom de l’amour. Mais aimer une personne ne signifie-t-il pas respecter ses choix, même s’ils ne nous conviennent pas ? Peut-on vraiment parler de romantisme si la personne convoitée doit être convaincue à coup d’arguments déprimants et dévalorisants ? Ken nie le libre-arbitre d’Emma. Il l’a choisie, est convaincu qu’il pourra la rendre heureuse, selon ses propres critères, et ne supporte pas qu’elle refuse ses avances.

Il n’y a aucun problème à montrer ce genre d’histoires à l’écran, puisque malheureusement, elles font partie de la réalité de nombreuses femmes. Ce qui est problématique en revanche, c’est le fait que la série ne se positionne jamais sur ce sujet, et qu’aucun autre discours ne viendra dénoncer le comportement harceleur de Ken.
Le cas du baiser forcé
Pour finir sur le thème du consentement, un exemple que l’on retrouve dans la série, mais aussi dans de très nombreuses œuvres audiovisuelles : celui du baiser forcé. Il est souvent perpétré par un personnage masculin, qui sans prévenir, se jette sur un personnage féminin pour l’embrasser. Il aura souvent été montré aux spectateur·trice·s que la femme était elle aussi attirée par l’homme, et n’attendait que cet instant où il oserait enfin se lancer. Mais le personnage embrasseur n’a pas eu ces informations, et même s’il pourrait parfois se douter que l’attraction est mutuelle, il ne peut en être certain.
Imaginons une seconde que des gestes et attitudes aient été mal interprétés, et que le baiser ne soit pas désiré : il s’agirait tout simplement d’une agression sexuelle. Pourtant, ces baisers imposés à l’écran ont toujours été montrés comme des actes romantiques et sexy. À tel point que beaucoup de femmes de mon entourage – et j’en ai fait partie – attendent d’un homme qu’il fasse le premier pas, les attrape et les embrasse, sans notification préalable. Les films et séries ont fortement contribué à excuser les hommes agresseurs, à ce que leurs comportements soient acceptés, voire même fortement encouragés.

Ces baisers forcés furent mis en scène à plusieurs reprises dans Glee, le dernier étant dans la saison 6 : celui de Spencer sur Alistair, deux jeunes hommes (l’inclusivité des histoires romantiques n’excusant en rien la banalisation des agressions sexuelles).
Les masculinités toxiques
Glee a largement fait sa part du travail en ce qui concerne la déconstruction de stéréotypes de genre, et notamment des masculinités : le papa garagiste et fan de foot qui accepte totalement l’homosexualité de son fils et le défend envers et contre toustes ; le sentiment d’insécurité des jeunes hommes à propos de leurs corps, leur fragilité ; la possibilité pour deux hommes de se parler honnêtement de leurs émotions… il faut bien reconnaître à la série une panoplie diversifiée et complexe de personnages masculins.

Mais à travers les multiples histoires de ses six saisons, elle laisse passer de trop nombreuses opportunités de questionner les injonctions à la virilité faites aux hommes.
Au cours des 121 épisodes, les personnages masculins s’interrogent à de nombreuses reprises sur ce que signifie pour eux « être un homme ». Dans l’épisode Acafellas de la saison 1, Will confie à son père ses doutes et peurs sur sa future paternité. Voici ce que ce derrnier lui répond : « Pour être un bon père, même être un homme, il n’y a qu’une chose qui compte : le cran. »[6]« Being a good father, hell, being a man is all about one thing : guts. ». Ce dernier mot reviendra tout au long de l’épisode, pour signifier aux personnages masculins, en particulier à Will et Finn, qu’ils ne doivent pas abandonner, qu’il faut qu’ils aient le courage de se battre pour ce qui leur tient à cœur. Enfin, quand le père de Will lui annonce qu’il s’inscrit en fac de droit, un rêve abandonné, il lui dit : « Tu m’as fait réaliser qu’il n’est jamais trop tard pour porter ses couilles et poursuivre ses rêves »[7]« You made me realize it’s never too late to grow a pair and go after your dream. ». Cette sémantique reliant le fait d’être un homme aux organes génitaux, à des traits de caractère comme le courage et la détermination est un grand classique qui se traduit dans le langage courant. Mais ne serait-il pas temps de cesser d’utiliser ces expressions toutes faites, surtout dans une œuvre qui a fait de son porte-étendard la déconstruction des stéréotypes de genre ?

À la fin de la saison 3, Will et le Glee Club ont enfin remporté le concours national des chorales lycéennes. Lorsqu’il rentre chez lui, il est attendu par Emma, avec qui il est en couple désormais, et on comprend qu’ielles s’apprêtent à avoir un rapport sexuel. Emma est vierge, et Will attend patiemment que sa petite-amie soit prête, car c’est un grand pas qu’elle appréhende. Après cette première fois, Emma lui dit : « J’ai juste pensé, mon homme est un champion, et il mérite d’être traité comme tel. »[8] « I just thought, you know, my man is a winner, and he deserves to be treated as such. ». Cette phrase laisse penser deux choses : que le sexe est une récompense, et que pour mériter cette médaille, un homme doit faire ses preuves et être un « winner ». Avec cette victoire, Will est désormais digne de cet honneur. De quoi mettre la pression tant aux hommes, à qui l’on dit clairement qu’il faut correspondre à un certain type de masculinité pour imaginer avoir des relations sexuelles avec une femme, qu’à ces dernières, pour qui le message est qu’une action triomphante de la part des hommes doit être récompensée par du sexe.

Conclusion
Glee fut une série avant-gardiste en son temps, abordant des sujets alors rarement traités et poussant assez loin le curseur de l’inclusivité. Mais dix ans plus tard, la nouvelle vague féministe a fait son entrée, et nous sommes plus exigeant·es avec les programmes qui nous sont proposés. Un constat partagé par Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles de Clit Révolution : « Me Too a débouché sur de précieuses avancées : poser des mots sur les violences ; mettre en lumière la notion fondamentale de consentement ; remettre en question la culture du viol qui infuse les films, séries et tubes avec lesquels nous avons grandi et a modelé notre rapport à la séduction ; questionner enfin les masculinités et la drague. » [9]S. CONSTANTIN, E. DUVEL-CHARLES, Clit Revolution – Manuel d’activisme féministe, Ed. Des femmes Antoinette Fouque, p. 100
Ces questionnements sont une arme puissante dont il faut à tout prix se saisir et utiliser à bon escient. De plus en plus de sociétés de productions l’ont compris, comme le montrent de nombreuses séries sorties ces dernières années [10]Par exemple : The Bold Type se propose d’aborder des sujets aussi importants que la libération de la parole sur les agressions sexuelles, ou la remise en question nécessaire des hommes … Continue reading. Le milieu hollywoodien semble enfin avoir réalisé que son influence sur les spectateur·trices pouvait être utilisé pour déconstruire le sexisme et les stéréotypes de genre, en rectifiant le tir de ses aîné·es et en montrant la bonne direction.
Alice Murillo
Insta : @les.utopies.d.alice
References
↑1 | Discrimination contre les personnes vivant un handicap |
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↑2 | Discrimination fondée sur l’appartenance à une classe sociale |
↑3 | « I had sex with you, because you got me drunk on wine coolers and I felt fat that day. But it was a mistake. » |
↑4 | I. BREY, Sex and the series, Ed. de l’Olivier, p. 45 |
↑5 | « You could do a lot worse, and in this town, you’re not going to do much better. » |
↑6 | « Being a good father, hell, being a man is all about one thing : guts. » |
↑7 | « You made me realize it’s never too late to grow a pair and go after your dream. » |
↑8 | « I just thought, you know, my man is a winner, and he deserves to be treated as such. » |
↑9 | S. CONSTANTIN, E. DUVEL-CHARLES, Clit Revolution – Manuel d’activisme féministe, Ed. Des femmes Antoinette Fouque, p. 100 |
↑10 | Par exemple : The Bold Type se propose d’aborder des sujets aussi importants que la libération de la parole sur les agressions sexuelles, ou la remise en question nécessaire des hommes sur leurs comportements vis-à-vis des femmes ; Good girl revolt utilise son contexte historique, le début des années 70 et ses révolutions féministes, pour nous parler de sororité – solidarité féminine, son pendant masculin étant la fraternité – et traiter des rapports de pouvoir entre hommes et femmes dans les milieux professionnels, nous rappelant que le sujet est encore d’actualité aujourd’hui |