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Free Britney Part. II : tutelle or not tutelle?

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« Je veux juste reprendre ma vie, ça fait treize ans et ça suffit. […] Je veux pouvoir me marier et avoir un enfant. On vient de me dire, à l’instant, que sous tutelle, je ne pouvais pas me marier ni avoir un bébé »[1]Louise Wessbecher, « Britney Spears: ce qu’il faut savoir sur l’affaire de sa tutelle », Huffington Post, 13 août 2021,  … Continue reading. C’est par ces mots que Britney Spears a fait part de son calvaire au tribunal de Los Angeles, lors de son audience du 23 juin 2021.

Pour le public, c’est le choc : comment imaginer qu’une artiste aussi célèbre que Britney Spears, aussi iconique, en soit arrivée à de telles difficultés personnelles, sociales, familiales ? Ne serait-elle pas victime d’une situation totalement abusive ?

Avant d’en analyser les enjeux, retour sur le parcours d’une pop star aussi riche de succès que semé d’embûches.

Premiers pas d’une célébrité et descente aux enfers

La carrière de Britney Spears est une véritable success story à l’américaine comme le cinéma les aime : l’histoire d’une jeune femme issue de la classe moyenne, sans histoires, devenue presque du jour au lendemain pop star mondialement connue.

Après des débuts aux Mickey Mouse Club, Britney se lance seule dans la musique avec son premier single, Baby one more time, sorti en 1998 aux États-Unis, qui aura un succès fou. Vous connaissez déjà la suite.

Mais la célébrité du jour au lendemain a un coût : celui de l’abandon de sa vie privée. Britney est sans arrêt épiée. Et si cet intérêt soudain pour sa personne lui apparaît rafraîchissant et flatteur aux prémices de sa grande notoriété, très vite, l’admiration des fans et des journalistes lui deviendra particulièrement étouffante.

Britney rencontre Kevin Federline en avril 2004 et l’épouse en juillet de la même année. Le couple aura deux enfants mais se sépare peu de temps après la naissance de leur petit dernier. C’est alors que débute une longue bataille judiciaire pour obtenir la garde exclusive de leurs enfants – que Britney n’obtiendra jamais.

Bien sûr, la presse n’en perd pas une miette.

Certains moments médiatiques ont tristement marqué les esprits (et l’histoire de la pop culture ?) : Britney frappant un paparazzi récalcitrant à l’aide d’un parapluie ; Britney trébuchant avec son enfant dans les bras ; Britney chauve.

Cela se passe 16 février 2007 : Britney Spears entre dans un salon de coiffure et se rase le crâne sous l’œil médusé des fans et paparazzis qui assistent à la scène. Un geste qui sera attribué à sa « folie », et dont l’interprétation hasardeuse marquera le début d’une descente aux enfers judiciaire.

Près d’un an plus tard, elle sera placée sous tutelle : le 1er février 2008, Jamie Spears est désigné tuteur légal de sa fille, tandis qu’une équipe accompagne la star dans les moindres aspects de sa vie. Initialement temporaire, la mesure sera pourtant pérennisée quelques mois après son prononcé.

A l’époque, Britney accepte cette mesure, craignant qu’un refus de se soumettre l’empêcherait de voir ses enfants. Elle a toutefois toujours été opposée à ce que son père soit son tuteur.

L’émergence du mouvement Free Britney

Dès 2009, un blogueur fan diffuse une transcription de notes vocales supposées provenir de la chanteuse, dans lesquelles elle dirait que son père l’avait menacée de ne plus voir ses enfants si elle n’acceptait pas la tutelle[2]« Pourquoi les fans veulent libérer Britney Spears », Le Monde, 22 juil. 2020, … Continue reading… charmant.

Source : @iscreamcolour (Instagram)

En janvier 2019, on annonce que Britney repousse toute une série de concerts à une date indéfinie, afin de se consacrer à sa famille[3]« Pourquoi les fans veulent libérer Britney Spears », Le Monde, 22 juil. 2020, … Continue reading. Il semblerait pourtant qu’elle ait été admise dans une clinique psychiatrique – contre son gré, dénoncent les fans. Un assistant d’un cabinet d’avocats impliqué dans son dossier de tutelle appuie cette analyse, dans un témoignage anonyme diffusé sur le podcast Britney’s Gram[4]« Framing Britney Spears », réalisé par Samantha Stark, 2021.

C’est à partir de ce moment que Britney Spears cesse de poster sur son compte Instagram. Étrange. Plus étrange encore : elle réapparaît avec le message « Nous avons tous besoin de prendre un peu de « temps pour soi » 🙂 ».

Les fans n’y croient pas. Un tel post n’a pu être posté par Britney elle-même : elle n’utilise jamais de smileys mais systématiquement des émojis. Ils traquent alors les moindres signes de faiblesse ou potentiels appels à l’aide de la star sur ses réseaux sociaux. Le mouvement #FreeBritney prend alors une toute nouvelle ampleur…

Britney, victime de l’industrie du divertissement

Victime de sa mesure de tutelle ? Britney semble avant tout avoir été victime de l’industrie du divertissement américaine : grande machine à sous ultra-capitaliste et sexiste, faisant d’elle une véritable poule aux œufs d’or et l’incarnation des fantasmes patriarcaux de l’Amérique puritaine.

Les débuts de sa célébrité s’appuient sur un storytelling sexiste : celui d’une adolescente candide, vierge – elle dit avoir fait vœu de chasteté jusqu’au mariage –  en phase avec les valeurs conservatrices de l’Amérique profonde. Britney est la girl-next-door, blonde, ingénue, au physique enfantin : une femme-enfant aguicheuse malgré elle et jamais vulgaire. Britney s’affiche dans le clip de Baby One More Time comme écolière – donc enfant – sexy et prête à tout pour « récupérer » le garçon qu’elle aime. Cette image mi-adolescente candide, mi-femme fatale lui collera à la peau.

Hélène Breda, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication et experte en représentation des identités culturelles décrypte ce phénomène sur Slate, en 2018 : « C’est significatif des injonctions paradoxales faites aux femmes dans la société : la pureté, mais en même temps la disponibilité pour l’homme qui les convoite »[5]Lucille QUILLET, « Britney Spears, condamnée à vivre pour les autres », Slate, 16 sept. 2018, https://www.slate.fr/story/167243/britney-spears-vie-conte-patriarcal-sexisme.

D’ailleurs la question de ses potentiels ébats avec son petit ami Justin Timberlake (dès 1999) passionne les États-Unis, et même le monde entier. Ils se séparent finalement en 2002 et on soupçonne Britney d’être à l’origine de cette rupture, par son infidélité. C’est ce que Justin sous-entend dans la chanson Cry me a river, qui hissera la chanteuse au rang de catin de l’Amérique (merci les injonctions sur la sexualité féminine) : non contente d’avoir menti sur son vœu de chasteté, elle aurait été infidèle à son bel étalon ! Justin finira même par parler de leur vie sexuelle dans une émission de radio. Very classe.

Finalement, cette rupture marquera le début de sa nouvelle vie d’adulte, et d’une certaine émancipation. D’abord par son premier mariage – qui ne durera que quelques heures – puis par sa deuxième union, avec Kevin Federline. Britney prend son envol – certes, encore plus ou moins sous le joug d’un homme, avec la descente aux enfers que l’on connaît bien.

Source : Sara Shakeel – @sarashakeel (Instagram)

L’histoire de Britney Spears est finalement celle d’une enfant star propulsée sous le feu des projecteurs avant d’avoir eu le temps d’être pleinement autonome. Un « produit » ultra-rentable bien vite mis en cage pour une tirer un profit maximal, dans une société conservatrice et patriarcale obsédée par la sexualité féminine.

Le règne du patriarcat

Une tristement banale histoire de patriarcat, donc : la femme placée sous la domination de son père. Car au-delà du fait qu’elle ne soit pas maîtresse de ses décisions dans le cadre de sa tutelle, le fait que son père soit son tuteur recouvre une symbolique particulièrement forte.

« C’est un schéma qui était comme partie intégrante de la pop culture à l’anglo-saxonne, et qui est devenu un symbole flagrant du patriarcat. Dans la lumière : la pop star, à la fois sujet et objet, artiste et icône, objet de tous les fantasmes, capable d’accueillir tous les regards et d’incarner toutes les identités qu’on projette sur elle, et pourtant corps et âme, désir, névrose, chair et sang. Dans l’ombre : le svengali, homme de savoir et de savoir-faire, qui tire les ficelles avec le double dessein de se faire oublier et de ne pas lâcher sa créature d’une semelle. »[6]Olivier Lamm, « Britney Spears et ses « protecteurs » : quand le patriarcat fait pop », Libération, 19 juil. 2021, … Continue reading

Dans ce contexte, la tutelle, gérée par le père de la chanteuse, ne passe pas.

Britney, victime d’une tutelle abusive ?

La tutelle, ou conservatorship (aux États-Unis), est la mesure de protection des majeurs la plus restrictive de libertés.

Elle permet aux personnes majeures d’être représentées dans tous les actes de la vie civile en cas d’altération de leurs facultés mentales ou d’incapacité physique à s’exprimer. C’est une mesure ordonnée, suivie et révoquée par un juge, sur avis médical[7]Elle empêcherait par exemple une personne majeure atteinte de déficience mentale de dilapider toutes ses économies au péril de sa propre survie. Elle empêcherait également une personne âgée … Continue reading.

On est bien tenté.e.s de s’offusquer d’une telle mesure restrictive de libertés à l’égard d’une chanteuse que l’on adore, qui s’exprime si bien publiquement et apparaît comme victime dès son plus jeune âge d’un système sexiste et capitaliste.

L’industrie du divertissement aurait fragilisé Britney au point de la rendre malade. Mais si la chanteuse est malade, n’aurait-elle pas besoin justement d’être protégée ?

Difficile en réalité de se prononcer de façon pertinente su le bien-fondé de son placement sous tutelle sans bien connaître son dossier médical et judicaire. Car, oui, on peut être bel et bien malade sans en avoir l’air, et avoir besoin de bénéficier d’une mesure de protection à ce titre.

On peut se demander néanmoins si cette mesure n’aurait pas été impulsée par des biais cognitifs sexistes, qui encourageraient un magistrat ou un médecin à vouloir « protéger » ou contrôler une femme de façon plus rapprochée.

C’est l’avis de l’historienne Lisa Appignagnesi, auteure d’un livre sur les femmes et la maladie mentale (« Mad, Bad, and Sad : A History of Women and the Mind Doctors) : « Un père aurait-il osé procéder de la sorte avec un fils adulte ? Aurait-il reçu un tel soutien de la justice et d’une bonne partie des médias ? »[8]Lisa Appignagnesi, « Out of control », The Guardian, 10 mars 2008, https://www.theguardian.com/music/2008/mar/10/popandrock.women ; via Lucie Quillet, « Britney Spears, … Continue reading.

C’est également l’avis des fans de la chanteuse, à l’origine du mouvement #FreeBritney… un mouvement annonciateur de rebondissements judiciaires dans l’affaire de la tutelle ?

Derniers rebondissements

Le 29 septembre (donc hier), on annonçait que Jamie Spears était écarté – enfin! – de la tutelle de sa fille. La mesure en elle-même demeure en revanche maintenue.

Affaire à suivre, donc.

Source : L’union

Lila

References

References
1 Louise Wessbecher, « Britney Spears: ce qu’il faut savoir sur l’affaire de sa tutelle », Huffington Post, 13 août 2021,  https://www.huffingtonpost.fr/entry/britney-spears-ce-quil-faut-savoir-sur-laffaire-de-sa-tutelle_fr_61162472e4b0f7bc26a42cd1
2, 3 « Pourquoi les fans veulent libérer Britney Spears », Le Monde, 22 juil. 2020, https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2020/07/22/entre-sollicitude-et-theorie-du-complot-aux-racines-de-freebritney_6046915_4832693.html
4 « Framing Britney Spears », réalisé par Samantha Stark, 2021
5 Lucille QUILLET, « Britney Spears, condamnée à vivre pour les autres », Slate, 16 sept. 2018, https://www.slate.fr/story/167243/britney-spears-vie-conte-patriarcal-sexisme
6 Olivier Lamm, « Britney Spears et ses « protecteurs » : quand le patriarcat fait pop », Libération, 19 juil. 2021, https://www.liberation.fr/culture/musique/britney-spears-et-ses-svengalis-20210719_HAXIAJZB7BGYDNM34QXK7DK2OA/
7 Elle empêcherait par exemple une personne majeure atteinte de déficience mentale de dilapider toutes ses économies au péril de sa propre survie. Elle empêcherait également une personne âgée dépendante et affaiblie de vendre ses biens immobiliers à bas prix et à une personne peu scrupuleuse.
8 Lisa Appignagnesi, « Out of control », The Guardian, 10 mars 2008, https://www.theguardian.com/music/2008/mar/10/popandrock.women ; via Lucie Quillet, « Britney Spears, condamnée à vivre pour les autres », Slate, 16 sept. 2018

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