Tripalium II
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Été 2020. Ça y est ! Mes droits aux chômages sont terminés. J’ai réussi mon concours d’entrée dans l’administration. Enfin je m’enflamme, juste l’écrit. Je ne vais pas me présenter à l’oral. Je décide de reprendre mes études.
En attendant la rentrée, je retrouve mon taff étudiant que j’ai détesté, déteste et détesterai toujours. Celui-là même qui m’a permis de survivre durant toutes ces années universitaires. CAISSIER. Que recommence, le chemin de croix.
Bonjour,
Bip, café latté, Bip, Saucisson, Bip un melon charnu, Bip, thé vert au maté.
Carte de fidélité ?
Paiement par CB ?
Bonne journée.
17h23 et mon train-train habituel,
Ma caisse et mon écran d’ordinateur.
La lumière artificielle et le bruit incessant,
Ma caisse, mon gel hydroalcoolique, mon masque et ce parfum.
Le temps passe, les clients se font attendre et mon regard qui virevolte,
J’attends…
J’aime à regarder les gens, le langage du corps dit plus vrai que celui de la bouche.
J’attends…
Les gens se parlent peu, rares sont les chantonnants. Nombreux sont les éreintés, las d’une journée de dur labeur, contraints de venir faire leurs courses et poussant leur charriot comme fardeau.
J’attends…
Le supermarché est devenu un vaste lieu de désolation où se concentrent frustration et nervosité.
J’attends toujours…
Cela fait cinq bonnes minutes et je n’ai toujours personne.
Je continue mon voyage du regard, observant les allées et les têtes de gondoles où sont parfaitement entreposés tout un tas de biscuits dont je devine la multitude de goûts, de par les différentes colorations des boîtes.
Rien n’est laissé au hasard, tout a été sagement pensé, méthodiquement placé pour que vous puissiez le voir. Que cela vous fasse envie.
J’entends…
“Boum” sur mon tapis, cela me tire de mon excursion.
C’est une cliente que je n’avais pas vu depuis des années. J’esquisse un sourire de joie, invisible sous mon masque. Alors je lui partage le fait que la voir me fait chaud au cœur.
Aux traits de son visage et à ses cheveux blancs on devine que les années sont passées, mais elle est belle. Elle me donne toujours l’impression d’une grande sagesse, elle a le regard franc et doux. Chaque mot sorti de sa bouche me donne l’impression d’avoir été sagement pensé. Elle redonne de l’intérêt à cette après-midi si ennuyante.
Sa présence m’illumine de positivité.
Sa présence me redonne humanité, comme si le travail machinal l’avait enterrée.
Elle s’en est allée, sourire aux lèvres que je devinai aux plissements de ses yeux. Je l’ai saluée, sourire aux lèvres, que j’espère elle devina aux plissements de mes yeux.
Puis je retournai à mon expédition de l’esprit et mon état de machine.
André
Retrouvez la partie I : Tripalium
Source de l’image en page d’accueil : New York Minute, réalisé par Dennie Gordon