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Rihanna milliardaire : à quand la rétribution des ambassadeur.ice.s ?

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C’est la bonne nouvelle de la semaine passée, dont on s’est réjoui en masse sur les réseaux sociaux : Selon Forbes, Rihanna Robyn Fenty a rejoint le club très sélect des milliardaires, avec une fortune estimée à 1,7 milliards de dollars[1]« Fenty’s Fortune: Rihanna Is Now Officially A Billionaire”, Madeline BERG, 4 août 2021 … Continue reading. Non pas grâce à sa musique, ses fans désespérant depuis de nombreuses années de la voir à nouveau sortir un album (le dernier, « Anti », remonte à 2016), mais grâce à ses investissements juteux et à ses succès entrepreneuriaux, avec l’appui du groupe LVMH.

Source : Culture Kings

On ne peut que se réjouir de voir s’enrichir une femme noire, dans la trentaine, issue d’un milieu populaire et qui a survécu aux violences domestiques.

La réussite de Rihanna est d’autant plus belle qu’elle a construit des entreprises qui répondent aux problématiques quotidiennes de personnes marginalisées : maquillage adapté à toutes les carnations, y-compris aux peaux ultrafoncées qui peinaient à trouver un fond de teint adapté parmi ce qui leur était proposé (Fenty Beauty, lancée en 2017) ; lingerie confortable sexy pour une grande diversité de morphologies qui ne se retrouvaient pas dans l’offre de lingerie classique (Savage x Fenty, lancée en 2018).

Source : Fenty Beauty

Des marques innovantes et inclusive.

L’inclusivité dans les produits vendus se retrouve également dans la communication des deux marques, qui n’hésitent pas à mettre en avant des corps éloignés des standards de beauté habituellement étalés sur nos panneaux publicitaires.

L’imagerie Fenty fait du bien. Des corps, gros, noirs, handicapés, trans sont enfin représentés dans des publicités de lingerie, dénudés, sous le feu des projecteurs, sur le podium d’un défilé de mode. En ce sens, Rihanna est parvenue à faire ce qu’aucune marque n’était parvenue à faire auparavant, du moins à cette échelle : du maquillage et de la lingerie VRAIMENT pour toustes (ou presque[2]« Ou presque » car, au regard de la diversité humaine, il est fondamentalement impossible qu’un produit ou qu’une gamme de produits standards conviennent à tous les individus … Continue reading).

A mille lieues des marques qui estiment que montrer un bourrelet ou un corps ultranormé non-retouché dans un catalogue suffit à les faire entrer au panthéon de l’inclusivité, quand elles ne parviennent pas à proposer plus de deux modèles de soutien-gorge au-dessus du bonnet D.

Source : i-D

L’empire Fenty deviendra enfin au complet avec la marque de prêt-à-porter Fenty (lancée en 2019 mais abandonnée un an plus tard), et Fenty Skin, dernière-née, en 2020.

Au-delà de ces belles valeurs brandies comme un étendard : Rihanna a du talent, Rihanna a du style, Rihanna est unapologetic.

En somme, Rihanna est ultra cool.

Alors quand Aunty Ririh se hisse au rang des plus puissants, on applaudit, larme à l’œil, l’adolescente barbadienne qui chantait seule devant son miroir devenue business woman aguerrie, révolutionnant le monde de la mode et de la beauté pour les rendre enfin réellement accessibles.

Mais ne serions-nous pas collectivement aveuglé.e.s par tant de coolitude au point d’oublier ce que signifie réellement le fait d’accéder au statut de milliardaire, en termes d’impact social, humain, et environnemental ?

Soyons réalistes : cette success story n’est pas celle d’une femme qui a construit son empire seule à la sueur de son front.

Prenons donc Savage x Fenty, qui vend de la lingerie : Rihanna n’a pas tricoté ses tangas seule dans sa villa californienne pour les revendre sur Etsy. Une entreprise de cette taille doit son succès à sa main d’œuvre. Et chez Savage x Fenty (comme ailleurs), elle ne travaille pas dans les meilleures conditions.

Premier indicateur : le site web de la marque ne donne aucune information sur les conditions de production de sa marchandise.

Si la marque est silencieuse sur ses conditions de production, on peut très largement douter de sa dimension éthique :

  • D’abord car si c’était le cas, on peut raisonnablement supposer que la marque n’hésiterait pas à l’employer comme argument marketing ;
  • Ensuite, car vendre en masse des produits à bas prix avec des collections aussi régulièrement renouvelées apparaît incompatible avec une production humaine et écologique.

Savage x Fenty propose un système d’abonnement, le programme Xtra VIP, permettant d’acheter à crédit et à prix avantageux de nouveaux articles tous les mois. Un renouvellement ultra rapide des collections qui place directement la marque dans la catégorie fast fashion. Selon l’ONG Oxfam, « Cette mode « jetable » produite à moindre coût a des conséquences sociales et environnementales désastreuses ». Sur un plan humain : « La fast fashion est un système qui repose sur le maintien des inégalités. Ce modèle implique une répartition des richesses inéquitable et maintient les travailleur.ses et leurs familles dans des situations de grande pauvreté. Les salaires des ouvrier.e.s du textile sont considérés comme des « variables d’ajustement » dans le calcul du prix final d’un vêtement, et ils sont de très loin inférieurs à la marge perçue par la marque et le distributeur »[3]« Fast fashion et slow fashion : définitions et enjeux », Oxfam France, … Continue reading.

Ouvriers dans un atelier textile de la province de Dong Nai, au Vietnam
Source : Oxfam France

En haut de la chaîne de valeur, il y a donc ces ouvriers qui produisent la matière première (fibres, textile), puis celleux qui l’assemblent afin d’obtenir le produit fini. Non, les sous-vêtements Fenty ne sont pas issus d’une production de textile équitable, assemblés dans des ateliers où les travailleurs sont rémunérés au-dessus du salaire minimum légal et bénéficient de congés payés. Sans quoi les collections seraient moins fréquemment renouvelées et les prix plus élevés [4]Et ce n’est pas nouveau dans le secteur de la lingerie : « historiquement, les sous-vêtements sont classifiés comme produits jetables, considérant que moins de tissus équivaut à … Continue reading).

Enfin, en bas de la chaîne de valeur, après l’étape de la production, on retrouve celleux qui vendent les produits : les personnes chargées de communication, conseillères de vente en magasin… et ces innombrables vendeurs et vendeuses de l’ombre à qui la marque doit bien des produits achetés par le consommateur : les influenceurs et influenceuses, qui vantent leurs mérites sur leurs réseaux sociaux.

Et pour cause : la stratégie marketing de Savage x Fenty repose en grande partie sur l’existence de ces quasi-freelances qui consacrent une partie de de leur temps, de leur énergie et prêtent leur image à la marque, pour la faire vendre. Un vrai travail de chargé.e de com avec production de contenu à la clé. Un travail rémunéré, donc ? Que nenni.

Pas d’argent en échange, non, mais quelques pièces que l’on pourra garder, et surtout la promesse de faire partie – en quelque sorte – de la « crème de la crème » des influenceurs, choisi.e.s pour représenter l’image de marque de Ririh en personne.

Quel honneur d’être choisi.e comme égérie d’une marque aussi cool, parmi un panel d’égéries toustes aussi cool les un.e.s que les autres. Quel honneur, et quelle chance, de contribuer à la représentation des corps traditionnellement délaissés par les marques de lingerie, absents de leurs campagnes publicitaires. De voir à son tour sa beauté, son charme et son style plébiscités pour vendre les sous-vêtements que l’on s’arrache en ce moment.

L’offre est alléchante, surtout pour les jeunes que la hype de Rihanna ne laisse pas indifférents.

Une offre de bénévolat pour une grande entreprise dont la PDG est milliardaire, donc.

D’autant que l’on peut soupçonner cette même entreprise d’avoir les moyens de rémunérer le travail des égéries, au vu de ses résultats. Tout comme bon nombre d’entreprises de la fast fashion – qui font des marges gigantesques sur des t-shirts dont le coût de production est estimé à quelques centimes – auraient les moyens d’assurer de meilleures conditions d’existence à leurs travailleurs.

On s’indignait déjà de la situation des ouvriers du textile qui travaillent au sein d’ateliers de confection dans des conditions déplorables. Là où Savage x Fenty a su encore innover, c’est en exploitant une nouvelle forme de travailleu.rs.ses mal rétribué.e.s, sous une forme plus glamour, sous couvert de représentation et d’inclusivité. C’est ça, le marketing d’influence à la sauce Rihanna.

Une stratégie par ailleurs très efficace, les « micro-influenceurs » (entendez qui ont moins de 100 000 abonné.e.s) ou « nano-influenceurs » (moins de 10 000) ont un taux d’engagement très élevé, bien plus élevé que celui des plus grands. Et pour cause : moins célèbres sur les réseaux sociaux, iels sont plus proches de leur communauté, avec laquelle iels parviennent à construire de véritables liens de confiance… utiles pour inciter à l’achat [5]« Les micro et nano influenceurs d’Instagram ont un meilleur taux d’engagement que les célébrités », Business Insider France, … Continue reading.

Source : Savage x Fenty

Sur Instagram, il serait donc plus rentable pour une marque d’effectuer un partenariat avec un compte ayant un plus faible nombre d’abonné.e.s qu’avec une célébrité.

Autant dire que ces égéries gratuites sont de véritables poules aux œufs d’or.

Certes, le phénomène n’est pas nouveau : nombreuses marques font appel à ces influenceurs pour promouvoir leurs produits. Nombreuses également sont celles qui parviennent à effectuer ces opérations gratuitement.

Là où Savage x Fenty détonne, c’est en ce qu’elle a pourtant fait de l’émancipation une de ses valeurs essentielles, même fondatrice : « Savage X, c’est établir vos propres règles et exprimer votre humeur, votre personnalité et votre style pour vous, et pour personne d’autre » peut-on lire sur la page « à propos » du site de la marque. 

Confrontée au discours sur l’émancipation et à l’inclusivité proclamée, autre valeur pilier de la marque, la méthode ne passe pas.

D’autant que ce sont toujours les mêmes à être ainsi exploité.e.s : on ne peut s’empêcher de remarquer que, la marque mettant en avant des personnes marginalisées, ce sont encore ces personnes dont l’image, le corps, sont exploités aux fins d’enrichir les groupes dominants.

La représentation oui, mais bien payée s’il-vous-plaît.

Lila

Source de l’image page d’accueil : Rihanna, Work (clip vidéo)


Pour en savoir plus sur la Fast Fashion, rendez- vous sur le site d’Oxfam France

References

References
1 « Fenty’s Fortune: Rihanna Is Now Officially A Billionaire”, Madeline BERG, 4 août 2021 https://www.forbes.com/sites/maddieberg/2021/08/04/fentys-fortune-rihanna-is-now-officially-a-billionaire/?sh=292a706a7c96
2 « Ou presque » car, au regard de la diversité humaine, il est fondamentalement impossible qu’un produit ou qu’une gamme de produits standards conviennent à tous les individus peuplant la planète.
3 « Fast fashion et slow fashion : définitions et enjeux », Oxfam France, https://www.oxfamfrance.org/agir-oxfam/fast-fashion-et-slow-fashion-impacts-definitions/?gclid=Cj0KCQjwu7OIBhCsARIsALxCUaOsrGU4eaBWPd8StZlMU_06ZAox2-D7kr4QUxhlX-AWInN5uspolWwaAicjEALw_wcB
4 Et ce n’est pas nouveau dans le secteur de la lingerie : « historiquement, les sous-vêtements sont classifiés comme produits jetables, considérant que moins de tissus équivaut à moins de savoir-faire, et donc un prix moins conséquent. Ainsi les marques de fast fashion ont fait chuter leurs prix, sacrifiant la qualité pour un travail non-éthique, et produisent plus qu’elles ne l’ont jamais fait avant ». On peut prendre l’exemple de Victoria’s secret qui, non contente d’avoir toujours adopté une démarche peu inclusive, a pu produire des pièces en coton issu du travail infantile (source : https://www.attiremedia.com/articles/sustainable-ethical-lingerie
5 « Les micro et nano influenceurs d’Instagram ont un meilleur taux d’engagement que les célébrités », Business Insider France, https://www.businessinsider.fr/les-micro-et-nano-influenceurs-dinstagram-ont-un-meilleur-taux-dengagement-que-les-celebrites-187206
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